La Pension de Mary,  La Plume de Florean

La Pension de Mary – Chapitre 04

Des vérités

Les hommes trébuchent parfois sur la vérité, mais la plupart se redressent (……)

Sir Winston Churchill

– Tu es trop vieux.
Werner frétille des moustaches. Il ne ressemble pas à un paysan, ou alors à une version bûcheron du paysan, grand, élancé, musculeux. Le genre misanthrope, un peu, qu’on imagine vivre seul parmi ses bêtes. Il est arrivé d’Allemagne peu avant ma naissance, un jeune homme travailleur, qui venait reprendre une ferme convoitée par de grands groupes agronomiques, le village l’avait subventionné, avec succès.

– Et toi trop jeune.
Il n’a pratiquement plus d’accent. Il porte bien la quarantaine – ses cheveux ne grisonnent même pas. Il n’est pas trop vieux pour moi. Ou peut-être que si. Mon ventre entre en résonnance. Qu’est-ce que je vais penser-là ???
Je me penche vers lui en battant des paupières.

– J’aime…
Je m’interromps. J’aime beaucoup de chose en lui. Sa gentillesse. Son côté sauvage, aventurier. Le vague parfum de sel et d’embruns qui l’accompagnent partout quand il m’apporte les produits frais pour le repas des hôtes – ce matin, des œufs, des légumes produits par sa ferme et le fruit de sa pêche du jour. Il s’impatiente, l’œil brillant.

– Tu aimes… quoi…?
Je hausse les épaules.

– J’aime te taquiner.
Son regard court sur mon corps – nous sommes dans l’atrium, il est 10h du matin, les clients de la veille repartent dans une heure, les nouveaux arrivent en début d’après-midi, j’ai le temps. J’aime qu’il soit là, avec moi. Je me sens apaisée lorsqu’il est dans ma pension.

– A mon tour : J’aime tes seins.
J’écarquille les yeux, choquée malgré-moi.
Et autre chose aussi.
Flattée.

– Werner !
Il a un sourire en coin.

– C’est le jeu, Mary. Je dis la vérité.
Il a raison, mais j’ai le souffle coupé malgré tout.

– Tu… c’est un coup en-dessous de la ceinture, ça !
Il rit.

– Mary, tous les garçons aimeraient voir tes seins. Tu n’es pas aussi naïve, n’est-ce pas ?
Je reprends mes esprits.

– Mmpf.
Je rougis malgré-moi. S’il savait que je les offre chaque nuit ou presque…
A moi.
Qu’est-ce que je peux dire comme « vérité » après ça ?
La vérité ?
La vérité.
Simplement.

– Je suis troublée.
Nous jouons à ce jeu depuis que je suis petite. Un jour que Werner venait apporter sa production et sa pêche à mes parents, je lui avais dit « Tes poissons puent ». Il avait ri et m’avait rétorqué « Ton nez est sale ». Vexée, je lui ai répondu « Tes ongles aussi ». Il s’en était amusé, et nous avions continué à nous lancer des vérités gênantes ou amusantes jusqu’à ce qu’il s’avoue vaincu en riant aux éclats. Depuis, chaque semaine ou presque, Werner et moi nous disons nos vérités du jour. Chaque fois nous tournons autour de l’amitié qui nous lie malgré nos vingt ans d’écart. Mais ce n’était jamais – jamais ! – allé jusque-là…
Il ne réfléchit pas longtemps avant de reprendre.

– Il ne faut pas. Tu as des seins qui feraient rougir un moine.
Il a hésité sur le mot « rougir ». Qu’a-t-il bien pu vouloir dire ?
Mon coeur bat à tout rompre.
Est-ce là la Mary qui vole nuitamment le plaisir de ses clients ?

– Et toi…
Je suis à court de mots. C’est bien la première fois.

– Et toi… tu es un affreux voyeur.
Il rit, la moustache en « u ».

– Je ne vois pourtant rien, belle Mary.
C’est vrai. Mon uniforme strict ne laisse rien paraître – chemisier et jupe droite. Je ne veux pas qu’il parte sur une victoire à notre petit jeu. Il veut me faire rougir ? Nous verrons.

– A mon tour… je… j’aime savoir que tu me trouves belle.
Il hausse les sourcils.

– Nous jouons toujours ?
Je hoche la tête, mon cœur fait une embardée alors que je m’approche de la seule émotion que je ne peux lui avouer.

– Oui.
Il y a un peu de rouge sur ses joues tannées par la mer, j’en jurerais. Il sait que j’ai énoncé une vérité.

– Alors… je te trouve belle, oui, mais pas seulement. J’ai une drôle d’envie en ce qui te concerne.
Je déglutis. Il n’y a pas de doute possible sur le feu qui se déclenche dans mon bas-ventre. Comment en sommes-nous arrivés à tenir cette conversation ?

– Je ne te crois pas. Je suis si jeune…
Il projette toute la sincérité dont il est capable.

– C’est plutôt moi qui suis si vieux… mais il y a un moyen simple de t’en rendre compte…
Nous nous regardons longuement.

– Je ne veux pas.
J’ai triché.
Une expression de tristesse passe sur son visage, et disparaît presque aussitôt.
Je me mets sur la pointe des pieds et l’embrasse. Je pense très fort « J’ai menti » en espérant qu’il le lise dans mes yeux. Le baiser est doux. Il sent le sel. Les algues. Le bois mouillé. La terre et la mer mêlées.
Werner sourit.

– Ce n’est rien. L’important pour moi est de te le dire, surtout. Merci de m’avoir permis de le faire.
Je me fais mutine.

– Attends une seconde… tu les aimes vraiment ?
Encore une fois, son sourire ne ment pas.

– Vraiment.

– Alors…
Je déboutonne mon chemisier strict. Mon soutien-gorge noir apparaît. J’aime ses yeux surpris. Il s’humecte discrètement les lèvres sous sa moustache. Je fais un pas vers lui. Il ne recule pas. Je prends délicatement sa main et la porte à un de mes seins. Ses doigts tâtent le lobe généreux. Je me penche un peu. Il glisse son majeur et son index sous le bonnet serré et s’arrête au contact du mamelon compact, joue avec le téton dressé.

– Tu es si sexy.
Je le remercie d’un sourire doux. Je dois lui dire.

– J’ai triché.

– Comment ça ?
Le bruit à l’étage me fait sursauter.

– Mademoiselle Mary ?
Anita m’appelle.
Werner retire sa main, je reboutonne mon chemisier en hâte. Je sens encore sur ma peau la chaleur de ses doigts coquins.

– A… Anita ?
Elle descend les escaliers, les bras chargés de linge sale.

– Mademoiselle, je ne retrouve pas le battoir à… oh, bonjour Monsieur Werner, j’ignorais que vous seriez là si tôt ?
Werner sourit sans se départir de son calme habituel.

– Pour vous voir, Anita, vous savez que je me lèverais à l’aube.
La bonne rougit de plaisir. Je respire mieux.
J’en profite pour m’éclipser.

– Je vous laisse tous les deux vous occuper de l’inventaire. Anita, je sais où est le battoir, je te l’apporte. Werner, nous reparlerons de tout ça un peu plus tard ?
Il acquiesce, un sourire dans les yeux.

– C’est d’accord pour moi.
Je sens ses yeux me suivre pendant que je m’éloigne vers la remise. Je m’y engouffre et m’assieds sur un tabouret pour reprendre mes esprits..
Qu’est-ce qui m’a pris ?
Butiner les clients, c’est une chose. Mais Werner… non. Je connais le sentiment qui a emplit mon cœur tout à l’heure, et je ne veux pas le laisser s’installer. Je serre les dents. Pas Werner. Mon amitié avec lui est plus précieuse que les désirs de mon corps. C’est la dernière fois que ça arrive.
Je respire lentement et attends que mes mains aient cessé de trembler. Le battoir à tapis est là. Je le saisis et ressors, prête à affronter le regard de celui que mon cœur a choisi il y a bien longtemps déjà.

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