La Pension de Mary,  La Plume de Florean

La Pension de Mary – Chapitre 08

Déconfiture

La manière la plus profonde de sentir quelque-chose est d’’en souffrir.

Gustave Flaubert, Carnets.

Werner m’expose le produit de sa pêche et de sa cueillette du jour. Les poissons ont des reflets irisés dans ses mains, ses légumes sont fermes et luisants, il les lave et les bichonne avant de me les apporter. Je suis contente qu’il soit là, les jeunes sont partis depuis quatre jours et mes nuits ont été très sages depuis – j’ai trop tiré sur la corde, ces derniers temps. Il faut que je dorme.
– Je dois te faire attendre encore pour les pommes et les poires, mais elles seront belles, cette année.
Son ton est professionnel, presque froid. Je cherche ses sourires, en vain. L’ai-je déjà perdu ? Je lui ai montré que je tenais à lui, pourtant… Mon cœoeur manque un battement. A-t-il appris ce que je fais de mes nuits ?
– Werner…
– Il y aura du cidre et du poiré et certainement un peu de pommeau si j’ai le courage. Oh, je t’ai mis les derniers pots de confitures de mûres et de prunes. Tu devrais pouvoir tenir jusqu’aux mirabelles.
J’attrape un des pots et le lui agite sous le nez.
– Werner… La confiture est belle et rouge… elle a l’air si appétissante, si sucrée… mais pour la goûter je ne suis pas prête à risquer de briser le pot. Tu comprends ?
Il me regarde.
Je me sens ridicule. Comment peut-il comprendre ? Quelle idiote ! Pourquoi est-ce que je ne lui dis pas les choses simplement ?
Il s’est arrêté de parler, l’air pensif.
– Je vois.
J’ajoute, piteuse:
– Et pourtant j’aime sincèrement la confiture. Je l’aime de tout mon cœur.
Il sourit tristement en me prenant le pot des mains.
– J’aime aussi la confiture. Il suffit de tourner délicatement le couvercle, lentement… Le petit claquement peut faire peur, mais il ne dure qu’un instant.
Il repose le pot ouvert sur la table.
– Mais j’imagine que tu préfères la réserver à ta clientèle, c’est plus simple. Eux ont le droit au premier choix.
Mon cœur s’arrête.
Il sait.
Les larmes me montent aux yeux.
– Werner…
La sonnette de la réception retentit. Des clients. Je ravale mes larmes et me dirige vers l’atrium.
– Excuse-moi.
Ma voix tremble. Je quitte la pièce.


Quand je reviens, il n’est plus là. Je m’assieds sur une chaise et je pleure toutes les larmes de mon corps, le pot de confiture entre les mains.

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