La Plume de Florean,  La Préparatrice,  Préparateurs

La Préparatrice – Chapitre 01

Ce récit se situe 3 ans avant « Le préparateur ». Thomas n’a alors que 15 ans, et Lilia, sa soeur, vient de souffler ses 18 bougies. Comme évoqué dans le récit « Le préparateur », Lilia aussi s’est vue proposer un job très particulier à cette occasion. C’est ce que je me propose de vous conter ici…

Prologue –: Bukkake

– Quel genre de job ?
Ma mère me sourit, énigmatique. Je déteste quand elle fait ça.

– Quelque chose dans tes cordes. Ça te fera grandir.
Je lui réponds d’un air incertain.

– J’avais plutôt pensé partir avec les copines, à la mi-juillet…
Elle me regarde sévèrement. Elle est tirée à quatre épingles, comme chaque vendredi soir.

– Oh. Et avec quel argent ?
Je fronce les sourcils. Ma mère est très aisée, médecin, gynécologue, travaillant 6 jours sur 7 pour des consultations qui crèvent largement les plafonds de la sécu en dépassements d’honoraires, l’argent n’est pas un problème pour nous.

– Comment ça ?
Thomas passe dans le couloir. Il est scotché à son téléphone, il envoie des textos à ses potes, des « lol » des « t’es là ? » des « Waw, trop chelou ». Vive les forfaits illimités.

– Ecoute, Lilia. Tu viens d’avoir ton bac, c’est bien. Tu es majeure, c’est très bien. Mais maintenant, il va falloir que tu te confrontes un peu à la réalité. Je veux bien te payer des vacances en août avec tes copines, mais en juillet, tu vas prendre ce travail.
Je me crispe un peu. J’ai tendance à être très émotive. Trop. Quand ma mère hausse le ton, je redeviens une gamine, des réminiscences m’assaillent, un mélange de peurs anciennes – qu’elle m’envoie au lit sans manger, qu’elle me prive de télé, qu’elle me confisque mes jouets favoris ou pire, mes livres. Elle n’était pas facile, quand j’étais petite. Je suis l’aînée Elle passait tout à Thomas – elle lui passe toujours tout – mais moi… c’était une autre histoire.
Je tente de désamorcer sa colère. Je fais toujours ça.

– Maman, je ne me vois pas bosser dans un bureau à faire de la paperasse et de la saisie informatique en plein mois de juillet !
Elle se détend un peu. J’accepte d’en discuter. Elle sait qu’elle a gagné.

– Quand ai-je parlé d’un travail de bureau ?
Je hausse les épaules en me renfrognant, boudeuse.
Elle réfléchit un instant. Calme. Toujours calme. Ses yeux clairs me scrutent. Je jurerais qu’elle s’amuse de me voir lutter encore.

– Bien, dit-elle finalement, puisque tu le prends comme ça… je ne te dirai rien. Nous avons rendez-vous demain après-midi avec ton employeuse, tu commenceras lundi, si tu lui fais bonne impression.
Elle quitte la pièce et entre dans la salle-de-bains. Elle porte une longue jupe noire qui lui arrive aux chevilles, un chemisier rouge très ample au décolleté scandaleux qui ne cache rien de la naissance de ses seins – je n’ai pas hérité d’elle de ce côté-là. De toute façon, en règle générale, je n’ai pas hérité quoique ce soit d’elle, si ce n’est le chromosome X – et encore, je suis sûr que celui de mon père était bien plus marquant pour mon génome. Elle a les cheveux châtains, la peau pâle tendance rouquine, les yeux bleus délavés. Je suis une petite brune typée méditerranéenne, des yeux foncés, de longs cheveux noirs. Ses seins sont énormes. Les miens, minuscules, rondelets. Elle est très féminine. Je porte des robes, l’été, mais sinon je m’habille comme un sac.
Elle se maquille abondamment.
Je me fais juste un petit trait noir sous les yeux.
Je soupire.
Il faut que j’aille demander, la curiosité est trop forte. Je la rejoins.

– M’man ?

– Mmmm ?
Elle se met du rouge-à-lèvres, en plusieurs passes précises.

– C’est quoi, ce job ?
Elle sourit en coin.

– Bukkake.

– De quoi ?
Elle tourne ses yeux de biche vers moi.

– Puisque tu n’as pas voulu m’écouter, puisque tu te fais boudeuse et capricieuse, je ne te donne qu’un seul indice : Bukkake.
Elle m’épelle le mot.

– Bukkake quoi ?

– Cherche. Job. Lieu. Bukkake. Je t’en ai trop dit, déjà.
Elle sort de la salle-de-bains après s’être parfumée, et me pose un bisou pâteux sur la joue.

– Bonne recherche…
Elle prend son sac et sa veste, ouvre la porte et disparaît dans le soir tombant.
Je ne supporte pas quand elle ramène ces types à la maison.
Bukkake. J’allume l’ordinateur, dévorée par la curiosité.


Je contemple l’écran, bouche-bée.
Sur la photo, une femme très rousse aux traits asiatiques, visage levé vers le ciel est entourée d’hommes, certains masqués.
Sur sa peau pâle, une flaque de sperme gluant. Ses cils sont collés, sa bouche, ses narines, son menton, dégoulinent de substances plus ou moins liquides, plus ou moins blanchâtres, plus ou moins translucides.
J’ai la nausée.
Les recherches avaient bien commencé, pourtant.
Bukkake, du verbe japonais Bukkakeru qui signifie « éclabousser d’eau», est un mot utilisé pour désigner un plat de nouilles sur lequel on verse l’accompagnement. Le croquis qui se trouvait à côté, pourtant, ne représentait pas des plats de nouilles. Le mot Bukkake désigne aussi une pratique sexuelle où plusieurs hommes déversent leur sperme sur une femme ou un homme, une pratique popularisée par le Japon il y a des années.
Evidemment, j’étais allée chercher des photos.
Qu’est-ce que ma mère avait en tête ? Certainement pas offrir mon visage en récipient vivant à des sadiques qui…

– Tu regardes quoi ?
Thomas, mon petit frère ! Je ferme vivement le navigateur Internet.

– R… rien.

– C’était qui, la fille ?

– Personne ! Un… un popup qui… tu sais, sur Internet, il faut se méfier quand tu navigues. Tu peux tomber sur des trucs pas pour ton âge.
Je fais ma « grande sœur ». Il déteste. Je tremble encore d’avoir été surprise ainsi.

– Oh, me fais pas la morale. Le prof de techno, depuis la sixième il nous gave. Tous mes potes regardent des films de boules, tu sais, si je voulais voir des trucs pas de mon âge, j’aurais juste à aller chez eux.
Je lui prends la main et lui pose un baiser sur les doigts.

– Tu sais bien que je te réserve pour moi, petit frère…
Il retire sa main en piquant un fard.

– Arrête-ça ou je le dis à maman.
Ça marche à tous les coups.

– Tu es si mignon…

– T’es pas drôle.
Il va s’asseoir sur le canapé, prend son téléphone et affecte de se désintéresser de moi.
Je retourne à ma recherche, en essayant d’être discrète. L’intervention de Thomas a au moins eu le mérite de faire disparaître ma nausée.
« Bukkake ».
Je parcours les réponses qui s’affichent.
Galeries de photos.
Définitions.
En français, en anglais, pornographie, pornography.
Gang-bangs géants. Je ne sais pas ce que c’est, mais je ne clique pas, cette fois. Douche de sperme.
La nausée revient.
Je tape « Bukkake restaurant ». Peut-être que ma mère veut me faire engager dans un restau japonais, c’est la mode en ce moment..
Des réponses en anglais. Bukkake-soba. Une belle expérience culinaire, apparemment.
J’essaye « Bukkake bureau »… que des conneries comme résultats.
J’enrage.
Ma mère va rentrer avec son Jules, ils vont s’isoler dans la chambre, lui va partir au petit matin, ma mère sera au boulot avant que je me lève, et je n’aurai aucune réponse avant qu’elle ne m’emmène à ce fichu rendez-vous !
Je passe, page après page, mais je ne trouve rien que du sexe, du sexe et du sexe. Pour une fille qui n’a pas… pas encore…. connu la chose avec un garçon, c’est particulièrement choquant et dégoûtant.
J’éteins l’ordi, j’ai envie de vomir.
Je vais dans le frigo, des images de femmes couvertes de sperme dans les yeux. Ma mère est tordue, mais pas à ce point… elle n’oserait pas… je sors une cannette de coca, la décapsule et en boit la moitié d’un trait. Thomas me regarde du coin de l’œil sur le canapé. Je me demande s’il perçoit mon malaise. Je prends la cannette avec moi et vais m’enfermer dans ma chambre, vaincue et très inquiète pour le lendemain.


Ma mère conduit, l’air concentré.
Elle ne m’a pas demandé si j’avais trouvé la solution à son énigme. Elle était partie tôt à son cabinet, ce matin, le mec d’hier soir avait disparu sitôt son affaire terminée, j’avais entendu ma mère le remercier d’une voix si chaude, si peu naturelle, que le mec avait dû comprendre qu’il ne la reverrait jamais.
Je tente le coup, l’air de rien.

– Il est loin, ce restaurant ?

– Mmm ? Quel restaurant ?
Raté.

– Le Bukkake… c’est un plat japonais, non ?
Elle semble étonnée.

– Ah ? Je ne savais pas.
J’enrage de devoir demander, mais je le fais.

– Alors… ? Je vais travailler où… ?
Elle sourit en coin.

– Pas dans un restaurant. Le Bukkake est un salon qui reçoit essentiellement des hommes, tu travailleras avec une de mes patientes qui en est la directrice et la gérante, Maîtresse Yanisa.
Je panique. La vision de ces femmes couvertes de semence(s) masculine(s) ne m’a pas quittée depuis la veille. Comment peut-elle imaginer que je vais accepter de me laisser traiter ainsi ! Les larmes me montent aux yeux.

– Maman ! Je ne veux pas faire ça !
Elle fronce les sourcils.

– Faire quoi ?
Ma voix monte d’un ton, je hurle, désespérée, sans cacher ma panique.

– Faire ÇA ! Je ne veux pas que des hommes me… me… je n’ai jamais… JE NE VEUX PAS !
Les larmes coulent pour de bon, cette fois.
Elle s’arrête à un feu rouge, l’air défait et éberlué.

– Lilia, calme-toi ! Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ? Ces hommes ne te feront rien, ils attendront juste leur massage et tu les accueilleras avec des bouillottes, des huiles ou que sais-je encore, il n’y a rien de choquant là-dedans ?

– M… m… massage ?
Les larmes ruissellent, je hoquète en sanglots étouffés, je m’essuie les yeux sans prendre garde aux traces noires qui doivent maintenant s’étaler sur mon visage, le trait sous mes cils ne doit plus être qu’un souvenir.
Le feu passe au vert. Elle démarre, enclenche ses warnings et se gare sur le côté de la route. Elle sort un mouchoir en papier et me nettoie la figure, impressionnée par mes pleurs.

– Chut… voilàààà… c’est fini… je ne sais pas ce que tu as imaginé, mais le Bukkake est juste un salon de massages asiatiques, rien de plus… tu veux devenir kiné, j’ai pensé que ça pouvait te faire une première expérience professionnelle intéressante.
Elle m’essuie les larmes, je me calme tout juste, immensément soulagée. Des massages. Bien sûr.

– Je croyais… je croyais…
Je suis incapable de lui expliquer. Comment lui dire que j’ai pensé sérieusement qu’elle me donnerait en pâture à des hommes pour qu’ils m’aspergent comme ces femmes ?
Je renifle et me tais.
Elle sourit en me fixant avec attention.

– Ça va aller ?
Je hoche la tête en indiquant que oui.
Elle me pose un baiser sur la joue.

– Ça va te plaire, tu verras. Yanisa est une femme à poigne, mais très sympathique une fois qu’on la connaît un peu.
Elle reprend le volant et conduit en silence. Je me calme progressivement.
La tension s’échappe lentement de mon corps.
Un salon de massage.
Ça peut être une belle expérience.

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